Ce stage a eu lieu le samedi 26 novembre dans la salle
vitez du lycée Rousseau. Il a réuni 24 stagiaires encadrés par Didier Lastère.
Un grand nombre d'enseignants qui participent
régulièrement aux printemps théâtraux ont suivi plusieurs "stages
projets" avec Bernard Grosjean, il devenait donc nécessaire de leur
proposer une nouvelle formation, sorte de stage niveau 2 ! Le principal
problème du théâtre à l'école étant de gérer une "troupe" de 25
acteurs, quoi de plus adapté qu'un stage sur le chœur et relier ainsi notre approche du théâtre à celui
des origines. Si dans le chœur antique dyonisiaque, émanation des citoyens, on chante,
danse ou commente l'action, Didier nous annonce que l'on peut tout demander au
chœur maintenant. Le chœur peut fabriquer toute l'histoire à vue, construire
l'espace de jeu, apporter les costumes et habiller les personnages. Le chœur
témoin qui regarde simplement l'événement le rend plus exceptionnel, plus
dramatique. Le chœur manipulateur (marionnettes, objets, ombres…) peut faire
apparaître les personnages, organiser l'espace, chorégraphier… Le chœur peut
aussi créer la musique à vue (voix, corps, percussions…). Le programme de la
journée sera vaste.
D'abord des
échauffements…en chœur
Pour créer ce singulier collectif, quelques exercices
sont proposés.
"La star
ac", exercice plébicité par les groupes de jeunes, consiste à répartir
le groupe en quatre lignes et à distribuer quelques numéros aux participants. A
l'appel de son numéro, l'élève vient se mettre devant et va diriger le groupe
sur une musique dynamique. Le groupe devant reproduire collectivement les geste
du meneur. (musqiue originale de Rain Man par exemple).
"L'équilibre
du plateau" vise l'occupation de l'espace. On considère que le plateau
est posé sur un piveau central et que les joueurs doivent occuper l'espace de
telle sorte que le plateau reste en équilibre. On marque des arrêts et on
observe la disposition des joueurs. Les déplacements doivent être souples et
dynamiques.
"Les
chaises" : elles sont réparties dans tout l'espace et diversement
orientées. Chacun est assis sur sa chaise, regard dans le prolongement mais
aussi "regard périphérique" pour être attentif aux mouvements du groupe.
Sans signal préalable, le groupe se lève, pied gauche d'abord, se tourne face à
la chaise, en fait le tour, un pas en arrière, s'assoit, regard toujours ouvert
(sans regarder ses pieds !). Les déplacements se font sans tension pour être
reliés aux autres. (référence à la biomécanique de Meyerhold)
"Le regard secret"
: Les joueurs, sur une ligne, avancent et reculent ensemble, sans signal
individuel et avec le regard fixé sur le secret (point imaginaire au fond de la
salle, au dessus des spectateurs). Les bras le long du corps, le déplacement,
en gardant la ligne droite formée par le groupe, se fait d'une façon tonique, y
compris en arrière après une légère impulsion.
"Les
bâtons", un exercice à faire pendant quelques minutes à chaque séance.
Chacun se déplace en tenant un bâton sur le bout d'un doigt, exercice
d'équilibre, d'énergie et de concentration. L'activité peut se décliner de
différentes façons : mouvement minimal, déplacements rapides, danse… puis tenir
le bâton en regardant son partenaire dans les yeux ! On peut effecter un
travail à deux, les deux bâtons étant tenus par la paume des deux partenaires,
il s'agit d'effectuer des déplacments et des mouvements sans faire tomber les
bâtons !
La création des
chœurs
Les chœurs dans les spectacles ne sont pas évidemment en
ligne. Les chœurs chez Brecht sont des groupes constitués, chœurs de soldats,
des commerçants, du peuple… porteurs d'une même parole. Chez Aristophane, ils
ont une forme triangulaire, "aérodynamique"! comme celui des oiseaux
migrateurs…
Pour constituer le chœur, on peut partir du portrait de famille, chacun étant
emboité, épaule contre épaule, les plus grands derrière. Quand chacun a
mémorisé sa place, au signal le groupe se disperse dans l'espace et vient se
reconstituer. C'est le coryphée, le chef de chœur, qui enclenche l'action, est
le point de repère autour duquel se reconstitue le portrait.
La mise en mouvement
du chœur nécessite aussi quelques entraînements. Des déplacements dans l'espace
vont s'effectuer en suivant le coryphée, en marchant, courant, reculant, se
baissant au départ… Les coryphées peuvent être interchangeables, en particulier
lors des changements de direction pour qu'ils soient visibles de tous.
Le regard des
membres du chœur est important pour donner cette effet d'unité. Au départ, tous
les regards sont dirigés dans la même direction, celle du secret. Mais quelques
regards peuvent être échangés dans le chœur, un sourire partagé puis adressé au
public. On passe du sourire au rire qui se nourrit du chœur mais s'arrête net
au mouvement du coryphée.
Différents types de
chœurs
Avec une classe entière il est conseillé de garder tous
les élèves présents sur scène pendant la durée du spectacle (cela évite la
gestion difficile des coulisses !). Mais alors il faut leur trouver une
occupation et un rôle dans le jeu collectif. Ces élèves sont ainsi prêts à
participer à différentes actions chorales.
Le chœur créateur
de personnage au début s'ouvre et laisse apparaître le personnage qui s'en
dégage puis le groupe s'éloigne et s'efface en se disposant sur les côtés. A
l'opposé, le "chœur gomme"
peut venir entourer le personnage, l'envelopper et l'enlever au sein du groupe,
il "disparaît" alors.
Le chœur témoin,
éloigné, regarde le personnage laissé sur le plateau, recule, se reforme, fixe
ainsi le personnage. Le regard des autres donne plus de force et d'intensité
dramatique à la scène. Il peut appuyer aussi des effets de peur, de joie…
"Le chœur
costumier" : les élèves se lèvent et viennent dans un déplacement un peu
chorégraphié habiller les personnages, ou bien ceux-ci s'arrêtent et effectuent
un retour à reculons pour qu'on leur enlève les éléments de costumes qu'on
dépose rituellement sur les côtés.
"Le chœur rythmique"
: Les élèves créent ensemble un rythme (claquements de mains ou frappes sur le
sol voire utilisation de percussions diverses ou percussions corporelles). On
peut même créer trois chœurs comme cela a été expérimenté sur des rythmiques
différentes ou avec la voix : "Bonjour/, ça va / et toi/", rythmes
binaires qui s'entremèlent en gardant le tempo puis se regroupent.
"Le chœur de
bruits" : chacun produit un son sans faire percevoir d'arrêt, avec des
changements de tonalités, bouche fermée, sans rupture brusque. On peut évoquer
le vent, la pluie… créer des espaces sonores pour venir appuyer certains
passages du texte.
"Le chœur des
électriciens" ! Didier a ainsi évoqué l'activité confiée à certains
jeunes élèves peu enclins à monter sur un plateau. Habillés de noir (gants,
bonnet), ils tiennent des projecteurs basse-tension et viennent éclairer les
visages des acteurs (ils peuvent même utiliser des gélatines de couleur).
Situations
chorales autour d'un objet
Pour
faciliter l'investissement des élèves, il faut chercher à leur donner du
concret à gérer, des matières, des objets. Ainsi Didier a proposé à deux
groupes d'imaginer quatre situations avec détournement d'objets. Le premier
objet, une table est ainsi devenue podium de meeting, mur, traineau, palanquin…
Dans la scène, il fallait engager tout le groupe donc créer des chœurs comme le
chœur de souffle pour évoquer le froid, chœur de personnages qui bougent
derrière le traineau pour marquer le déplacement… Le rejeu est un principe
fondamental du travail théâtral avec une nouvelle contrainte. Le conseil était
de de dépasser les propositions concrètes et réalistes pour inventer des situations
magiques et poétiques comme par exemple proposer un discours politique muet et
des applaudissemnts appuyés. Le théâtre convoque un autre regard, non réaliste
et travaille avec l'imaginaire du public.
La consigne
suivante a consité à élaborer une histoire à partir des quatre détournements.
Le tissu (satinette gaufrée gris perle) est un élément plus inducteur
d'imaginaire, son caractère plus volatile et fluide permet des mouvements
spectaculaires ou poétiques (on l'a fait monter comme un ballon qui retombe
ensuite doucement et enveloppe lentement le groupe de personnages !). Le tissu
étalé crée déjà de l'espace qui devient la mer dans le tableau 1, mer agitée
par la tempête (mouvement créé par ceux qui tiennent le tissu) tandis que deux
personnages s'efforcent de la traverser. Puis le tissu devient une tente
berbère, une femme danse devant l'homme. C'est ensuite naturellement le mariage
où le tissu devient la longue traîne des mariés accompagnés des youyous. L'histoire
se termine par le repas de noces où le tissu devient nappe. A chaque étape un
chœur est convoqué pour planter les piquets de la tente, pour le cortège des
mariés, les convives du repas… Un chœur manipulateur, un chœur scénographe, un
chœur acteur, un chœur sonore…
Le
support de jeu est facilitateur, la contrainte est toujours créatrice. Et
Didier devient intarissable lorsqu'il évoque ces situations de jeu
expérimentées avec différents éléments imposés, notamment autour du principe
d'accumulation : accumulation de papiers journaux ou de sacs plastiques, de
draps ou de chaises, de sable ou de pelotes de laine… tous impressionnants
comme par exemple celui des journaux : une classe de collège avait été vidée
puis le sol recouvert de 50 cm de papiers divers. Musique. Les élèves sortent
peu à peu de dessous les papiers, leurs costumes étaient faits de journaux
collés, ils cherchaient à lire leur texte en fouinant dans le tas de papiers.
Les élèves adorent manipuler la matière et inventer des formes. On peut
s'essayer à plusieurs univers avant de faire un choix.
"Timide"
Le support du spectacle, album ou texte de théâtre, ne
doit pas être communiqué avant de préparer le groupe. Il faut faire jouer les
élèves sur la thématique pour qu'ils s'amusent
d'abord avec le sujet du texte, la timidité dans le cas du stage, puisque
l'extrait proposé provient du texte de Catherine Verlaguet
"Timide"(Théâtrales jeunesse 2012)
Consignes de jeu données aux deux groupes : se répartir
le texte, constituer les chœurs, trouver le mot à dire ensemble. La scène a
quatre peronnages : l'enfant (Lucas), la Peur, la mère et le docteur.
Des propositions de jeu sont montrées, discutées et …
rejouées bien sûr. Voici quelques observations faites sur les choix de chœurs.
Le début de la scène commence par un chœur, photo de classe, tout le monde est
immobile, s'ensuit un sourire timide, forcé, photo oblige, puis un acteur sort,
le chœur sourit et chuchote "Voici Lucas", qui, lui, ne sourit pas et
s'enfonce sur lui-même puis un membre du chœur vient le coiffer d'une casquette
(élément distinctif des Lucas dans la scène). Le second groupe a présenté un
chœur réussi de docteurs, le docteur accompagné de son staff. Proposition est
faite de trouver une dynamique pour le staff de docteurs, une rythmique dans la
diction du texte chuchoté peut-être. Le docteur se déplace suivi de tout son
staff pour observer le petit Lucas. On peut alors dépasser le réalisme, agraver
la réalité et basculer dans l'onirique, voire le cauchemard, toute la classe devient
le chœur de docteurs qui entoure le petit garçon ! C'est même le monde entier,
dira Didier, qui vient envahir la maison pour observer Lucas ! Dans une mise en
scène, il faut toujours savoir d'où se raconte l"histoire. Ici bien sûr
c'est à travers Lucas et sa peur du docteur n'en sera que mieux ressentie par
le public dans ce choix de chœur !
Chœur et solo
Le stage se termine par le traditionnel cercle de parole
où chacun s'exprime. Didier s'appuie sur les retrours pour reprendre quelques éléments
importants. Il n'existe pas de chœur sans solo. On a besoin de voir sortir
l'individu singulier du collectif. Le chœur va chercher l'acteur qui va jouer
Lucas, le choisit, l'habille, le présente "Voici Lucas", puis se
referme. Le relais des Lucas seront assurés par la casquette, le chœur le
coiffe puis le pousse hors du groupe. Mais il faut toujours garder un certain
mystère pour commencer, Lucas n'apparaît pas d'emblée. Ces multiples chœurs
expérimentés, vécus, vont ainsi nourrir le jeu des classes. On attend avec
impatience de voir cela aux printemps prochains.
Marcel Le Bihan