Les jeunes lisent du théâtre

Concours et festival 2022



Un concours

Cette année, AMLET a proposé aux élèves des textes des éditions Lansman (cycle 3) et Quartett (cycle 4 et 5). Le nombre de lycées a été insuffisant pour obtenir un vote significatif à ce niveau. 

650 élèves ont donc lu trois textes de théâtre contemporain et environ 500 ont participé au vote. C'est moins que l'an dernier.

Un comité de lecture d'AMET avait sélectionné trois pièces par cycle.


Liste des pièces de théâtre jeunesse 


Cycle 3

Julie Annen Chèvre/ Seguin/ Loup (Ed. Lansman)

Pascal Brullemans Petite Sorcière (Ed. Lansman)

Cécile Mouvet Etendre ses branches sur le monde (Ed. lansman)

Cycle 4

Compagnie 3637 C'est ta vie (Ed. Lansman)

Marc-Antoine Cyr Gens du pays (Ed. Quartett)

Natacha de Pontchara Le Monde de Mars suivi de Les ratés (Ed. Quartett)

Cycle 5

Marc Antoine Cyr Quand tu seras un homme (Ed. Quartett)

Yann Verbrüh H.S. Tragédies ordinaires (Ed. Quartett)

Carine Lacroix On dormira quand on sera mort (Ed. Quartett)


L'année a commencé dès octobre par la venue de la Cie Acteurs et Pupitres (Laurence Cazaux et Patrick Gay-Bellile) qui ont présenté le spectacle de lecture au pupitre Yapatou devant 225 élèves. Le lendemain samedi 9 octobre, 22 enseignants et comédiens ont participé au stage de formation qu'ils ont encadré (V. CR)


Et les élèves ont choisi !  On trouvera ci-dessous des retours précisant leurs votes par des appréciations diverses. Certains ont même imaginé des couvertures, réalisé de courts textes, des fresques … Merci à eux. On trouvera aussi quelques extraits des échanges du vendredi entre les élèves et Cécile Mouvet, la lauréate pour "Etendre ses branches sur le monde" et son éditeur Émile Lansman qui a reçu le prix du cycle 4 au nom de la Cie 3637 pour "C'est ta vie". Et pour clore ce CR, quelques extraits de la table ronde du samedi, laquelle participait aussi Marc Antoine Cyr.



Un festival

Dès le mercredi soir, nous avons accueilli Cécile Mouvet, qui venait de traverser l'Atlantique en provenance du Québec ! Le jeudi, Cécile et Emile Lansman, son éditeur, ont rencontré quatre classes de Laval (6èA du collège Emmanuel de Martonne, 6è CHAT du collège Alain Gerbault, deux classes de CM de l'école Badinter.) 

Le vendredi 13 mai, la journée du festival a eu lieu au Pôle culturel des Coëvrons. Neuf classes de cycle 3 et trois de cycle 4 ont participé à cette journée. Ils ont partagé leur temps entre un atelier de jeu encadré par des comédiens (Anne Chamaret, Yann Lefeivre, Caroline Coustère, Tomas Reyes et Jean-Luc Bansard) et une lecture au pupitre devant leurs camarades et l'autrice suivie d'un temps d'échange. La Cie Acteurs et Pupitre a effectué une brève lecture du texte primé avant la remise du prix de département aux lauréats. 

Malheureusement Caroline Vanderlinden, de la cie 3637, n'a pu être présente pour recevoir le prix cycle 4 à cause d'ennuis de santé. 

Le samedi de 17H à 21h, le pôle culturel des Coëvrons et AMLET ont organisé une soirée pour le tout public proposant des "petites surprises théâtrales"(spectacles professionnels, travaux d'élèves et table ronde avec auteurs et éditeurs).




Lectures cycle 3    




Lecture de Etendre ses branches sur le monde par Acteurs Pupitres et Cie  



Remise du prix cycle 3 à Cécile Mouvet par Cecile Gaillard (Mayenne culture) au nom de M. Ballendreau.





Remise du prix cycle 4 à l'Editeur représentant la Cie 3637 par M. Ballendreau vice-président du conseil Départemental 




 
Et l'inévitable séance de signatures !!  





Et photos de classe !  






Retours d'élèves sur les textes lus

Etendre ses branches sur le monde

C'est drôle par moment « Elle est ronde comme un litchi », il y a du suspens (est-ce que Méi va être reconnue ?), de la joie quand Méi reçoit le courrier la reconnaissant, c'est triste aussi quand la maman quitte la maison. Le texte est beau.

Il y a beaucoup d’émotions dans ce texte.

On a aimé le fait que des adultes évoquent leurs souvenirs d’enfance, on aime le fait que ce soit des enfants (avec des disputes comme nous), on a adoré les personnages principaux.

(St Georges sur Erve)

C'est facile à lire, passionnant et triste. C'est une belle histoire qui nous a appris des choses : la loi de l'enfant unique, du vocabulaire nouveau…

Lia est un personnage réaliste et attachant, les élagueurs des personnages intéressants à lire. 

Ce texte est intéressant à lire et à jouer car il y a beaucoup d'émotions différentes. On a pris conscience de l'injustice de la loi de l'enfant unique en Chine. 

(Ecole Jules Renard Châlons du Maine)

Texte trop long et parfois difficile à lire. Divertissant. Triste (la vieille voisine est décédée)

Sentiment d’injustice (devoir payer pour exister)

Mystérieux (beaucoup de questions qui se posent au début du texte)

Touchant (liens familiaux très forts, la vieille voisine donne son argent pour que Mei puisse exister)

(6èA SEGPA clg de Martonne)

Cette histoire est émouvante. l'histoire de Lia et Mei m'ont touché. L'histoire est intrigante. Le texte est mystérieux. J'aime beaucoup les personnages, comment ils parlent.

J'aime le thème, le suspense. Il y a plus de texte !

Il y a plusieurs noms d'arbres que je ne connaissais pas. Cela fait voir combien la famille est précieuse. L'histoire d'exister, j'adore. J'aime les personnages surtout les élagueurs. 

(6è clg Montsûrs)

 

Fresque de l'école Badinter

Les points du vue de Lia et Mei.

Et les noms des enfants de la classe en langue chinoise !




Les lanternes chinoise

(peinture et encre de chine) 





Petite sorcière

Nous avons aimé le personnage de la grande sorcière qui est fière d’être ce qu’elle est, le personnage de l’ogre qui fait peur, le dénouement.

Histoire plus difficile à comprendre.

Parfois difficile à lire

Triste (la maman est décédée, la petite sorcière a dû sacrifier son chat)

On a été marqué par l'épisode où Petite Sorcière brise le cou de son chat.

(Châtres la forêt)



 




Petite Sorcière Affiche 1

Sur cette affiche, on a choisi de représenter :

Les empreintes du chat, car il est important. petite Sorcière le sacrifie pour se sauver et sauver le petit garçon.

La fleur magique. C'est à cause d'elle que les sorcières déménagent.

Les serrures dans les yeux car Petite Sorcière veut se libérer de l'ogre.

La couronne, car Petite Sorcière doit choisir entre accepter la vie de l'ogre (garder la couronne et devenir ogresse) ou décider de combattre (être sorcière) 

(Châtres la Forêt)







Petite Sorcière Affiche 2

Pour cette affiche, on a choisi le vert pour la nature. 

On a choisi de représenter : La fleur magique qui est entre Petite Sorcière et Grande Sorcière car c'est elle qui sépare la mère et son enfant.

et des traces de pas : celles du chats, de Petite Sorcière et des plus grandes… celles de l'ogre !

La cabane, de grands arbres car l'histoire se passe dans la forêt.            Châtres la forêt CM)

Le texte et l’histoire nous ont plus. Fin triste. Texte émouvant.

Divertissant

Facile à lire (petits textes et phrases courtes)

Très touchant car le loup essayait de ne pas manger la chèvre (il l’appréciait ou il avait pitié d’elle) ce qui est inattendu :  il y a un peu de suspense

Intéressant car lié à une histoire connue. 


Histoire rigolote et amusant. les phrases sont courtes. C'est plus facile à lire et à mémoriser. 

(6è collège de Montsûrs-



Si c'était une couleur ce serait…

Le noir : parce qu'il y a du suspense et on ressent la peur et l'inquiétude des personnages.

Le gris : car le loup qui est noir dévore la petite chèvre qui est blanche à la fin. Le mélange doit du gris.

Le rouge : car il y a des combats, du sang.

Le vert : c'est la couleur des arbres, de la forêt, de la nature.

Le blanc parce que ça parle de la montagne et la chèvre est blanche. 


Si c'était une émotion, ce serait…

La tristesse : à la fin le loup mange la petite chèvre et la chèvre est enfermée

La joie : la petite chèvre est heureuse dans la montagne

La colère : la petite chèvre est en colère quand Seguin l'enferme. Seguin est en colère quand la chèvre lui dit qu'elle veut aller dans la montagne. Le loup est en colère quand la chèvre ne veut pas s'enfuir à la fin. 


On a découvert qu'une histoire qui se finit mal pouvait être belle.

(Châtre la forêt)


Divertissant

Facile à lire (petits textes et phrases courtes)

Très touchant car le loup essayait de ne pas manger la chèvre (il l’appréciait ou il avait pitié d’elle) ce qui est inattendu :  il y a un peu de suspense. (6èA SEGPA clg de Martonne)








C'est ta vie

C'est intéressant parce que ça parle de problèmes qu'on peut vivre et dont c'est dur de parler.

J'aurais aimé que la victime soit un garçon. (acte 1)

C'est un sujet dont on parle trop. C'est lourd.

L'acte 2 est top bien. En plus à site il y a Demain nous appartient. 

(3èA collège Paul Langevin Evron)








Echanges avec Cecile Mouvet, l'autrice et Émile Lansman, l'éditeur.

(Bref résumé des entretiens avec les élèves présents au festival)


Pourquoi avoir choisi cette histoire ?

J'ai vu à la télévision un documentaire, "Naître ou ne pas être", qui expliquait ce qui se passait en Chine avec la loi sur l'enfant unique. J'ai trouvé ça très injuste et ça m'a marquée. J'ai donc décidé d'écrire une histoire sur ce sujet. Pour qu'on en parle et que vous puissiez en discuter rentre vous. Est-ce normal ? injuste ?


Êtes-vous chinoise ? 

Je suis belge, élevée en France et actuellement je vis au Québec. Je ne suis pas chinoise, donc je vais aborder le problème de "l'appropriation culturelle". C'est quand une personne non concernée par un sujet en parle à son avantage, souvent des blancs qui s'approprient d'autres cultures. Dans ce cas, je suis une personne blanche qui écrit une histoire qui se passe dans un pays asiatique. La Chine n'est jamais nommée, mais on comprend que c'est sur la politique de l'enfant unique en Chine. C'est une position délicate. Il faut donc bien se renseigner sur son sujet, regarder des documentaires, lire, échanger avec des personnes concernées. J'essaie simplement d'ouvrir les esprits sur ce sujet. 

Une anecdote : j'ai un petit frère de 27 ans qui est en couple avec une personne de Shanghai, elle est enfant unique. Sa mère a vécu la situation racontée dans "Étendre ses branches sur le monde". Elle a dû avorter plusieurs fois parce que le gouvernement ne voulait pas qu'elle ait d'autres enfants. Aujourd'hui, il y a des personnes de cet âge en Chine qui ont vécu les situations présentées dans la pièce.


Difficile d'écrire ?

C'est difficile, on passe par plusieurs étapes. On a une idée qui nous plait, on commence à écrire, on se relit, on se pose des questions, on n'est pas satisfait, on doute. C'est difficile, mais chouette aussi quand on se met dans la peau des personnages. On ressent des émotions différentes. On n'écrit pas en une seule fois. Ce texte m'a demandé deux ans et demi. Il faut laisser "infuser", comme le thé !

Il faut beaucoup travailler. Avoir de l'audace et du courage.

Quand on écrit, on n'est pas tout seul tout le temps. Parfois quand on a une difficulté, on peut en parler aux éditeurs, aux proches … au Québec existe le métier de dramaturge. C'est une personne dont la profession est d'aider les auteurs à écrire quand ils ont un problème. Parfois aussi des comédiens viennent lire le texte, comme vous. Alors l'auteur comprend son texte autrement qu'au moment de son écriture solitaire. 


Deux façons d'écrire

On peut écrire seul, à l'ordinateur, un texte qui  peut être ensuite retravaillé avec d'autres personnes. 

Mais il existe une autre façon, qu'on appelle l'écriture de plateau. Des comédiens improvisent au plateau, l'auteur prend des notes puis rédige un texte, le propose aux comédiens qui repartent en improvisation. Et l'opération peut se renouveler. 

Quand le texte est écrit, il faut le retravailler, on écrit deux ou trois versions. 


Le titre 

En théâtre c'est souvent l'auteur qui propose le titre, selon Émile Lansman. Mais une discussion est parfois nécessaire car le titre peut être déjà pris ! Parfois si on ne comprend pas pourquoi un titre est proposé, on en discute et on le change en accord avec l'auteur. Il existe tellement de titres. Ex "La fuite", sur internet 78 textes ont un titre commençant par la fuite !

"Étendre ses branches sur le monde", cette pièce, je l'ai d'abord écrite, dit Cécile, puis j'ai cherché un titre. J'ai relu mon texte, j'avais écrit cette phrase, je l'ai trouvée belle et il me semblait qu'elle résumait bien ce qui se passait. Le titre c'est difficile à trouver, c'est censé dire tout en peu de mots. Souvent, c'est à partir du simple titre que des gens choisissent de lire la pièce ou d'aller la voir !





Éditeur (Emile Lansman)

Un éditeur n'imprime pas les livres. D'abord, il lit les nombreux manuscrits qu'il reçoit. En 2019, la pile de textes reçus sur l'année me dépassait de 10 cm, cela faisait 850 textes ! puis il  rencontre les auteurs, choisit les textes, leur mise en page. Ensuite quand le livre est imprimé, il le fait circuler, le vend aux libraires, l'envoie aux comédiens, aux metteurs en scène, aux enseignants. Il le fait connaitre.

J'ai publié 1352 livres en 32 ans, une quarantaine de livres par an. 3200 pièces de théâtre, car il y a souvent plusieurs pièces par livre édité. Environ 1000 pièces pour les jeunes ont été éditées chez Lansman. Et c'est le premier éditeur à publier des textes à faire jouer par les jeunes (ex "collection "La scène aux ados").

Dans le cas de "Étendre ses branches sur le monde", comme vous pouvez le remarquer, il est indiqué : Prix Annick Lansman sur la couverture. C'est un prix créé en l'honneur de l'épouse de l'éditeur. On fait un appel à auteurs pour public de moins de treize ans tous les deux ans. Les textes sont lus sans connaitre le nom des auteurs. En 2018, 181 personnes ont voté pour le texte de Cécile. On ne la connaissait pas, c'était son premier texte. C'est alors seulement  qu'elle a été contactée, mais c'est un cas spécial.


Francophonie

Emile Lansman est un éditeur francophone, c'est-à-dire qu'il édite des auteurs de tous les pays qui parlent français (Belgique, suisse, Canada, Afrique). Il est très fier d'avoir été le premier à publier un auteur-traducteur chinois francophone, exilé politique en France en 1991. Celui-ci a reçu le prix Nobel en 2000 !


Lettre de Coralie Vanderlinden lue par Emile Lansman


C’est une belle reconnaissance de recevoir un prix décerné par vous, les ados ! Que le public auquel nous nous adressons aime ce que nous écrivons est le plus beau des cadeaux !  


Pour écrire ce texte, nous étions en lien avec des ados de votre âge, via des ateliers et des lectures. Nous avons pris le temps de rencontrer tout ce monde, puis nous avons coupé ou réorganisé les mots, on les a essayés au plateau, en jeu, puis affinés s’il le fallait, c’était un long travail ! Comme j’imagine celui de la lecture que vous venez de faire et qui m’aurait certainement remplie d’émotion ! 


Je vous remercie pour votre travail. Lire du théâtre et s’inventer des imaginaires est quelque chose que j’ai toujours adoré faire, j’espère que le plaisir était au rendez-vous. 


Tout les mots que nous avons choisis sont là pour rentrer avec sensibilité dans le sujet de l’amour… L’amour, si présent dans la vie de chacun et chacune d’entre nous. Et pourtant on en parle peu avec sincérité... 


Le désir de la compagnie est d’aborder des thèmes forts qui parlent de nos émotions. Au plus profond de nous. Et nous le faisons avec le plus d’amour possible pour les ados que vous êtes, en plein ébullition.  


J’en profite pour remercier toute la compagnie 3637 et les coauteur/coautrices : Lisa Cogniaux, Sophie Linsmaux et Baptiste Isaia. J’en profite aussi pour dire que sans Emile Lansman et son édition, ce texte ne serait pas tombé entre vos mains. Ce livre, pour moi c’est une énorme fierté ! Merci Emile ! 


Et pour finir, je remercie AMLET qui fait un travail formidable pour que nos textes prennent vie ! 


Enfin, pour évoquer le petit souci de santé qui m’empêche d’être parmi vous, je vais voler quelques expressions à Louise : je suis en train de reprendre du poil de la bête et de retrouver, très doucement, ma voix. Aujourd’hui, ce prix me donne de l’énergie pour continuer à écrire encore, pour que mon métier ait du sens. Et je vous remercie de cet encouragement. 


Comme Louise le dit, ça fait chaud et en couleur ! Je suis impatiente de connaître la suite ! 

Coralie Vanderlinden, Cie 3637



Table ronde le samedi 14 mai

(Extraits)


Les autrices de "c'est ta vie", compagnie 3637, n'ont pas pu participer au festival. Par contre Marc-Antoine Cyr, un autre auteur de la sélection cycle 3, "Gens de pays", et du cycle 5 "Quand tu seras un homme", est venu le samedi accompagné de l'éditeur des éditions Quartett, Benjamin Dupré.  


"Pourquoi écris-tu pour nous ?"


C. Mouvet - J'écris pour moi d'abord. Ce sont des sujets qui me touchent moi. Mais je pense que cela va parler aussi à des personnes plus jeunes. 

Mes proches m'ont dit un jour : ce que tu écris c'est pour la Cécile de neuf ans ! En effet, je dis des choses que j'aurais aimé entendre quand j'avais cet âge-là. J'écris pour moi, pour la personne que j'étais plus jeune.

"Etendre ses branches sur le monde" qui a eu le prix des cycle 3, est un sujet très éloigné des problématiques des jeunes alors qu'on pense qu'ils attendent qu'on traite de sujets qui leur sont proches, de leur quotidien. Je cherche plutôt à traiter des thématiques universelles et ouvrir le débat. Si j'écris pour moi et pour vous, c'est parce que j'ai envie qu'on parle, qu'on réfléchisse, pas forcément donner une réponse. Les questions obligent à réfléchir. 


M.A. Cyr - Je préfère dire j'écris "avec". J'ai l'impression qu'écrire "pour" c'est faire un produit qu'on va donner à quelqu'un qui l'attend. Pour moi, c'est le temps présent du "avec" qui est le temps où j'écris, et le temps où ça vous parvient, c'est "avec".



Marc-Antoine Cyr, d'où t'est venue l'idée d'écrire "Gens du pays" ?

Au moment où j'ai demandé la naturalisation française, j'avais la liberté de choisir mon pays. Je me suis demandé : qu'est-ce que ça change dans mon identité, car ça fait bouger plein de choses à l'intérieur de soi extrêmement subtiles. Et j'ai cherché une forme pour en parler. 

Je me suis retrouvé alors en immersion dans un collège à côté de Grenoble, où une prof faisait un projet sur les origines. Elle m'avait demandé d'intervenir, à moi et à un metteur en scène qui travaillait sur ces questions. Or, dès les premiers jours, les jeunes ont dit "Nous on n'est pas français."

On a mis des semaines à détricoter ce réflexe un peu brut qu'ils avaient par rapport à l'identité française. Alors que moi j'avais cette volonté joyeuse de dire : "moi je deviens français !"

La maison est un territoire imprécis, on ne savait pas où se poser dedans. C'est à partir de ça que j'ai écrit. Je me suis dit ce n'est pas de moi que je devais parler, mais d'eux et pas leur voler leur parole, de parler à partir de cet endroit commun, de nous, de nos histoires. Est-ce qu’avoir les pieds dans un pays ça fait une identité ? C'est en effet beaucoup plus compliqué que cela et le texte essaie de détricoter les questions qu'on s'est posées avec eux.

Cette fois-là, c'était une immersion totale, notre discussion devenait très intéressante pour la fiction. Ensuite j'ai mis beaucoup de temps à trouver cette forme, elle n'est pas arrivée tout de suite.


Adolescent ou adulte ? 

Les catégories (12/15 ans), je ne sais pas qui les a faites. Quand j'écris, ça parle souvent de cet âge-là. Je parle de territoires parce que je suis un immigré. L'adolescence c'est un temps fermé de la vie, mais c'est un temps auquel on revient toujours.

Quand on est un auteur de théâtre, on parle sur des questions ouvertes et non pas sur des réponses. C'est toujours de là que ça parle, c'est de là que la voix sort. En général, ces textes sont montés en grand public ou en tout public. Mais ils sont lisibles dans des concours adolescents !

Dans mon travail, je ne fais pas cette distinction adulte/ado, je la fais pour la petite enfance, par la langue, la forme, la durée… 


"Quand tu seras un homme", texte de Marc-Antoine Cyr proposé aux lycéens, aborde le

thème grandir, sur trois générations avec le personnage du grand-père qui n'arrive pas à  mourir. "Ça ne m'arrangerait pas qu'il meure cette nuit parce que je dois finir ma thèse" dit sa petite-fille. On sourit même quand il s'agit de la mort. 


Pour un texte jeunesse ne faut-il pas justement l'espoir, le rire, la distance ? 

Cécile cite alors Olivier Letellier "Pour le jeune public, il faut arriver à parler de choses importantes sans être grave ou triste". Et Marc-Antoine Cyr cite Suzanne Lebeau "On peut parler de tout, mais quand on écrit pour les enfants ou les adolescents, il faut laisser la lumière allumée à la fin." Pour les adultes, on pourrait éteindre la lumière, ça pourrait être ça la distinction. 

Emile Lansman cite aussi Suzanne Lebeau "On peut parler de tout sauf du désespoir absolu", cependant il se méfie de ces belles phrases, car il y a des fins qui sont positives, mais personne n'y croit ! Les auteurs subissent aussi une pression sociale, économique, un auteur ne va pas écrire un texte trop noir, car il sait que personne ne va le prendre, il va alors s'autocensurer. On n'est pas dans une société où on cultive la noirceur absolue, mais par contre on reçoit des textes qui "parlent de…" et dès qu'on repère que c'est de la fabrication sur un thème, cela n'intéresse pas. Ces thèmes doivent être portés par des fables, des histoires, des personnages, une humanité…

Et pourtant… a-t-on rebondi dans la salle.

Quand les récits se terminent trop bien, les jeunes réagissent en disant, ce n'est pas possible, ce n'est pas ainsi dans la vie, ils ont besoin de plus de réalité.

Dans "H.S." (de Yann Verburgh, cycle 5), il n'y a pas de lueurs d'espoir. Quel message leur envoie-t-on en tant qu'enseignants quand on leur fait lire ça alors qu'ils peuvent vivre une situation difficile de harcèlement par exemple ? Des lycéens ont beaucoup pleuré en lisant HS, ils ont aimé le livre, mais certains ont refusé de le jouer. D'autres au contraire ont voulu que ce soit dit parce que ce ne sont pas leurs mots. Ils ont aimé qu'on leur parle de la cruauté du monde contemporain et surtout qu'on ne leur laisse pas croire qu'il y avait un sauveur.

(Cécile) : Il y a des lecteurs qui veulent retrouver la souffrance, car eux aussi souffrent. C'est la vie aussi. Dans quelle mesure n'est-ce pas un point de vue d'adulte de vouloir que ce soit lumineux ? Ne projette-t-on pas ce souhait-là chez les enfants, que ça se termine bien ? Dans l'enfance j'ai eu le souvenir de vivre des choses difficiles alors que dans les livres ou les films on montre que tout va bien. J'avais l'impression qu'on me mentait. Dans quelle mesure les adultes ne veulent-ils pas que cela se termine bien parce que c'est plus pratique pour eux? 



Comment trouver la langue de la parole de cette jeunesse sans tomber dans le "jeunisme" ?

(M.A. Cyr )- Ma langue d'auteur a changé depuis que j'habite ici, cela fait treize ans. On peut suivre une lente disparition du québécois. J'entends des voix, des respirations,  je suis contaminé par un souffle, des hachures dans la parole quand je suis dans un collège… On fabrique à partir du matériau sonore. On le trouve en travaillant, en disant à voix haute jusqu'à ce que ça sonne juste. Au théâtre, on veut que la réplique provoque quelque chose dans le corps parce que ça va être porté par un autre corps et une voix. Je travaille à sculpter la phrase pour qu'elle provoque des sensations dans le corps, c'est un long travail. Je sculpte, je cisèle les phrases, ce n'est pas de la simple retranscription. Reproduire pour imiter cela ne sert à rien pour la fiction.  

(C. Mouvet) - Roman, poésie, théâtre ne s'écrivent pas de la même manière. Car cela va être porté par des gens, des voix avec un souffle, un rythme, on l'entend quand on écrit, d'où l'importance de travailler avec un comédien pour entendre son texte, voir comment il vit. Il ne faut pas chercher à écrire comme ça parle, mais trouver sa musicalité, son style. Il n'y a pas de recette, chaque auteur a la sienne. Elle va toucher tel type de personne ou de public.


Comment faire de la langue une matière musicale ?

(M.A. Cyr)- Dès mon enfance, j'ai été altiste dans un quatuor. L'alto  c'est la voix que personne n'entend à moins de prêter l'oreille. Le texte est organisé sur la page comme une partition que les interprètes doivent jouer. Il y a peu de ponctuation, mais des graphies différentes : majuscules, minuscules. Ces deux graphies correspondent à deux énonciations d'un même personnage, une voix intérieure, une pensée, et une voix publique, le dialogue avec l'autre personnage. L'acteur doit trouver comment exprimer ces deux niveaux.


Et le dédoublement des noms dans "Gens de pays" ?

Je traite de l'identité et d'un adolescent insaisissable. Il va donc s'appeler Martin-Martin, cela va faire super français et si bien que la policière ne le croit pas. On s'aperçoit par la suite que c'est sa mère, une immigrée, qui l'a appelé ainsi pour s'assurer qu'il soit protégé s'il se trouve dans une situation périlleuse en France.

Or j'ai plein d'amis français qui s'appellent Kévin ! C'est donc ridicule de résoudre le problème d'identité de cette façon. Je me suis donc amusé à appeler les autres Kevin-Kevin ou Lorie-Lorie ! Et le doublement, c'est juste pour marteler cette idée de l'identité.


Des textes énigmatiques

Cacher les clés cela fait partie du plaisir d'écrire du théâtre. On sait que les gens vont passer des mois à travailler sur ces textes, si les clés sont évidentes dès la première lecture, ils vont s'ennuyer. Et les acteurs, qui les jouent pendant  des mois en tournée, aiment pouvoir découvrir encore de nouvelles significations dans leurs personnages. 

Il faudrait pouvoir prendre le temps de faire découvrir aussi aux scolaires ce plaisir de se confronter à ces énigmes et de chercher à les résoudre ce qui supposerait un peu plus de temps. Le chœur des loups dans Gens de pays ouvre justement une série d'interrogations. 

Les titres donnés par l'un et par l'autre aux scènes participent aussi à la construction de cette énigme. "Je suis revenue sur mes pas", "Ce qui est superflu", "exister" pour Cécile ou "la nuit je mens", "Crever la lune", "le poisson invisible" pour Marc-Antoine. 






Quelques images du samedi 14 mai, festival tout public



Une installation par les lycéens de Rousseau à partir de Gens du pays de Marc-Antoine Cyr

 

 




On dormira quand on sera mort de Carine Lacroix 



La table ronde 


De gauche à droite

Grégoire Guillard (Pôle culturel des Coëvrons)

Marc-Antoine Cyr (auteur de Gens de pays)

Benjamin Dupré (Editions Quartett)

Dany Porché (AMLET)

Emile Lansman (Editions Lansman)

Cécile Mouvet (autrice de Etendre ses branche sur le monde)


Lecture des textes écrits dans l'atelier d'écriture animé par Jézabel Cogyec (au centre) et lus par Laurence Cazaux, Jézabel et patrick Gay-Bellile. 




Et en 2023 ?

Encore pour une année à Evron



Yapatou le 14 octobre

Formation le 15 octobre

Festival en mai. 

(découverte des éditions Les solitaires intempestifs)