Stage masque : la monstruosité
Les 6 et 7 avril 2013, 13 stagiaires, enseignants
et comédiennes, ont suivi ce week-end de stage encadré par Claire Heggen du
théâtre du Mouvement.
Claire Heggen est co-directrice artistique avec Yves
Marc de la compagnie Théâtre du Mouvement, fondée en 1975. Elle a une formation d'enseignant d'EPS, marquée par une anti idéologie sportive dans les
années 70, pour une éducation corporelle plutôt que physique et sportive, de
danse classique et autres techniques corporelles et esthétiques. Elle a été
formée au "mime corporel et dramatique" pendant quatre ans et demi à
l'école d'Étienne Decroux qui, à la suite de Craig, voulait promouvoir un
nouveau théâtre, un nouvel acteur. Il s'appuyait sur une décomposition
fragmentaire du corps et une articulation des segments entre eux, le visage
étant caché derrière un voile, comme chez Copeau, à l’origine du "masque
neutre". Decroux veut redonner son expression au corps de l'acteur qui à lui
seul peut être porteur de sens.
Claire Heggen enseigne le travail corporel pour
les marionnettistes de l'ESNAM de Charleville depuis les origines de l'école il
y a 25 ans, et assure de nombreux stages de formation en France et à l’étranger.
Avec le théâtre du Mouvement, elle a monté une trentaine de spectacles en
France et joué dans soixante pays. Elle
a beaucoup travaillé le déplacement des masques sur le corps. C'est en nous
faisant travailler le masque sur le visage, l'arrière de la tête, l'épaule, le ventre,
la hanche, le genou, les extrémités des membres qu'elle va nous amener à faire
naître la monstruosité, en passant d'un corps usuel à un corps fictif.
Découverte
du masque neutre
Quels effets peut provoquer le fait de porter un
masque neutre face au public, et comment est-ce perçu par le public ? Un groupe
passe d'abord masque neutre et se présente à l'autre groupe, sans consigne
particulière, il faut simplement prendre le temps d'être à l'écoute de ses
sensations. Sous le masque, on constate que la vision des choses est
différente, limitée, d'où la nécessité de passer davantage de temps sur chaque
chose pour bien la regarder, et bouger la tête pour passer d’une chose à
l’autre. Il ne suffit plus de bouger seulement les yeux. Pour voir, il faut
articuler le mouvement. Le masque est un
regard et donc une théâtralité en soi.
Le masque agit aussi comme une loupe pour les
moindres mouvements qui sont immédiatement repérés. Il n'y a pas de neutralité.
Selon la position de la tête, du corps, on signifie un personnage différent.
Par exemple un simple mouvement de tête en avant marque l'étonnement, un
mouvement vers le bas marque la tristesse du personnage ou l’intériorité de la
pensée. Tout fait signe. Le masque
oblige à articuler, à décomposer, à apprendre et intérioriser chaque mouvement
et ce qu’il renvoie.
Et de l'extérieur ? On constate que le masque
fonctionne comme une facialité, ses mouvements sont limités. On ne peut se
présenter de profil ou tête baissée, cacher de quelque manière que ce soit, le
masque aux spectateurs. Celui-ci perçoit aussi les auto-contact, les
microfixations, microcaresses qui échappent au comédien. En effet le moindre
mouvement fait sens ou perturbe le sens !
Face à
face, les quatre mouvements
Comment bouger avec le masque ? Deux par deux, face
à face, chacun son tour (le partenaire renvoie ce qu’il perçoit), on s'entraine
à regarder des points dans l'espace avec des états de pensée différents pour
découvrir en quoi la géométrie est expressive, porteuse d'information, de
transformation. Ainsi, sous le contrôle de l’autre, le vocabulaire du masque se
construit peu à peu. Si au mouvement seul de la tête, on ajoute la
participation du cou, on est alors dans la passion, et on raconte autre chose.
Le regard vers le bas exprime l'intériorité, le regard vers le haut la pensée
générale… "Regarder c'est
penser" dit Michaux. Si le mouvement est trop grand, le spectateur le perd
et masque "meurt ". On s'exerce à bouger des segments du corps, sur
place, sous et autour d’un masque fixe : cou, buste, bassin, jambes. Il
apparaît très vite que les mouvements des bras “ne jouent pas“, contrairement
aux mouvements de la partie axiale du corps qui montrent des personnages ou
expressions très différentes, et très claires. Petit à petit, nous allons vers les
quatre mouvements répertoriés par la compagnie dans la musicalité du geste et
mis au service du travail avec masque :
- Progressif
: mouvement du serpent où la tête, le masque entraine le corps.
- Dégressif
: mouvement où une partie du corps dirige et entraine le masque.
- La
fixation ou arrêt simultané : un point du corps reste fixe et le reste
bouge. Le masque peut bouger par rapport à un point du corps qui reste fixe, ou
le masque peut se fixer tandis qu’une ou des parties du corps bougent.
- La
contradiction ou écart : un élément part d'un côté et un autre de l'autre,
la tête à droite et le cou à gauche.
Masque
derrière la tête ou au sommet du crâne
Que crée-t-on lorsque le masque glisse derrière
la tête ? Avec le pull et la capuche à l'envers. Mais où sont alors l'envers et
l'endroit ? Pour faire vivre le personnage, il faut avoir une conscience
précise de l'endroit où se trouvent les yeux pour repérer les limites du
mouvement de la tête, puisque c'est le regard qui crée la vie et la pensée. Le
regard du spectateur est alors perturbé par des mouvements qui se révèlent
inhabituels, ambigus car celui-ci perd ses repères. On assiste à la création
d'un être inconnu, mi humain, mi batracien, phoque, une sorte de monstre. On
est entre le rire et l'effroi. Le masque sur le sommet
du crâne crée un personnage sans cou, autre forme monstrueuse.
L'asymétrie
Le travail sur l'autonomie de la tête sur un
corps fixe nous amène à rechercher la dissymétrie, corporellement plus
dramatique. La stabilité exclut le drame, métaphoriquement mais aussi
visuellement, nous rappelle Claire. On recherche donc des positions du corps en
écart avec le masque. Comme nos gestes sont naturellement en symétrie, Claire
nous fait rechercher des positions inhabituelles. On fait des nœuds avec nos
corps en cherchant à joindre et mélanger des membres opposés, d’abord seul puis à deux ou à trois (voir
photos d'enchevêtrements !). Cet exercice a pour but de rechercher des
auto-contact et positions inhabituelles, mais aussi d’échauffer en douceur, de
délier les articulations, puisque lorsqu’un “nœud“ est fait, Claire nous
encourage à attendre un moment que quelque fibres musculaires “lâchent“ et
d’essayer de resserrer le nœud. On s'entraine aussi à ne mobiliser qu'une micro
partie du corps en gardant le reste fixe, et ceci se fait à l’aide d’un
partenaire qui touche la partie à mobiliser. C’est un exercice difficile, mais
indispensable pour la précision nécessaire au masque. Il faut aller vers une
dissociation totale de toutes les parties du corps. Les courbatures totalement
inhabituelles ressenties deux jours après témoignent de cette micro
mobilisation.
Masques
sur le thorax ou le bassin
Lorsqu'on déplace le masque ailleurs que sur la
tête, où se trouve alors le corps de ce masque ? Comment faire apparaître le masque ? Le faire regarder
? Lorsqu'il est par exemple sur le thorax, devant ou derrière, comment le faire
vivre, comment l'animer avec son propre souffle et comment faire vivre le
“personnage“ ? Lorsqu'il est sur le bassin, devant, derrière ou bien sur
les côtés, il faut chercher à animer ce masque, donc mettre en jeu en
conscience des articulations proches d’une façon tout à fait particulière,
comme l’articulation fémur-bassin. On assiste à de véritables chimères qu'il
faut faire vivre. Le masque peut être directeur ou chercher à se cacher… Et
ceci sans jamais oublier que le public regarde aussi l'impact du regard du
marionnettiste !
Masque
à la main et chœurs de masques
On peut aussi tenir le masque à la main, le
masque devient comme unemarionnette. Pour cela, il faut scotcher une barre à
l'intérieur en travers. La prise doit être très légère avec le bout des doigts,
à la limite de la chute pour avoir une plus grande maniabilité. Il faut trouver
le centre de gravité par rapport au regard. Les mouvements d'inclinaison du
masque se font en relevant le poignet. Pour bien avoir conscience du masque, un
exercice est proposé : deux par deux face à face, l’un ferme les yeux et
tient le masque devant lui, et doit, lorsque l’autre gratte une zone du masque,
gratter la même partie sur son propre visage, le plus spontanément possible.
Cela permet ensuite de jouer avec deux masques,
l'un à la main et l'autre sur le visage. Côte à côte, on procède aux mêmes
déplacements simultanément, successivement, en opposition, en dialogue… Les
deux ont le même statut.
On s'entraine à déplacer les masques tenus à la
main selon les lignes de scène (drapeau anglais), le corps fixe, l'objet mobile
puis la ligne se prolonge et le corps suit mais sans quitter le sol. "Les
racines sont fixes !". On se rend compte que si le poignet est trop raide,
on perd le personnage, on assiste à un transport de masque ! C'est ce que nous
testons en réalisant une petite chorégraphie de masques que Claire nomme
"Le buisson ardent". Une petite histoire se raconte, le corps devient
castelet.
Scènes
à plusieurs masques
Chacun prépare une petite scène avec un ou deux
masques sur le corps. On a vu des masques sur les pieds, le tibia, le genou, l'épaule,
l'avant bras et autant de curieux personnages, pas toujours faciles à faire
vivre ! Il est difficile lorsqu’on est concentré sur un masque de ne pas
négliger l’autre, savoir les faire apparaître, disparaître, varier les rythmes.
Il peut ainsi apparaître dans le cadre des deux bras, ou des bras et du corps
lorsqu'il est sur le genou. Il faut ainsi faire naître "la chatouille ou
la surprise de l'âme" ! Cet émerveillement, nous l'avons tous ressenti
quand Claire nous a offert comme délicieux dessert en fin de stage, un extrait
de son spectacle avec un masque sur le visage et l'autre sur le genou : une
mère et son enfant. Nous avons vu la mère coudre et l'enfant jouer ou pleurer
puis se faire dorloter; un spectacle, nous a-t-elle dit qui est né, non de
l'adaptation d'une historie préalable mais de multiples explorations à partir
de musiques, de mouvements et matériaux.
Un
stage qui a donné l'envie à plusieurs d'entre nous d’expérimenter avec des
élèves. On songe aussi à renouveler l'expérience avec Claire et de continuer
notre exploration.
Ce CR est à mettre en relation avec celui sur "La
théâtralisation du mouvement" où il est question de la musicalité du mouvement,
d’espaces intra-corporels et d’espaces intercorporels et "La nostalgie du pied quittant le sol" (CR Stage avec Yves Marc) N°Amlet 15 et 16.
Petite biblio (sélection de Dany Porché) voir "documentation"
Petite biblio (sélection de Dany Porché) voir "documentation"