Le chœur actif

Le chœur actif
Le dimanche 18 février 2018, salle Vitez du lycée Rousseau, le stage animé par Christelle Legroux, comédienne (Conservatoire National de Paris et membre de la Cie d'Eric Lacascade entre autres) a réuni 25 participants.
(Contenu et objectif: Animer et faire jouer un grand chœur : trouver de vraies raisons dramaturgiques aux mouvements scéniques).

Un poussin n'habite pas dans l'eau !
Après un moment d'échauffement, le premier exercice a porté sur un déplacement collectif progressif. Les participants sont répartis en trois lignes face public. Tous s'avancent de huit pas, se retournent sur le huitième et s'avancent vers le fond de scène de sept pas, se retournent et s'avancent de six pas… jusqu'à un, à partir duquel le mouvement d'aller retour se refait en s'amplifiant jusqu'à huit. On le fait d'abord en comptant puis sur la phrase de comptine : Un poussin n'habite pas dans l'eau. Quand on passe à sept, cela devient "Un poussin n'habite pas dans…" etc… La difficulté est de bien partir sur le même temps au demi-tour et de ne pas s'emmêler lorsqu'on arrive à un !

This old hammer
Le mot chœur évoque bien sûr le chant. Aussi avons-nous appris et chanté "en chœur" ce chant de travail très rythmé : "This old hammer".

This old hammer killed John Hendry( 3x)
But this old hammer it won't kill me.
                           ********
This old hammer rings like silver (3x)
But this old hammer, it shines like gold

American folk song : voir "You tube lyrics " (avec la plaque près de la voir ferrée qui a inspiré ce chant)
On peut réécouter plusieurs versions de ce" work song ". John Hendry, ancien esclave qui a travaillé à construire la ligne "Chesepeake et Ohio Railroad ". Après la guerre de Sécession ils ont creusé un tunnel pendant 3 ans sous "Big Bend mountain".  La chanson entière raconte la vie de ce noir américain de sa naissance à sa mort.
Beaucoup de ces chants, que l'on appelle des "hammer songs" par leur rythme puissant, étaient censés faciliter le travail manuel... (informations et traduction de … Véro)

Stop ! Pause ! Go !
Cet exercice développe l'attention et la concentration. Il comporte en effet un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Le groupe se déplace sur le plateau : "stop !", tout le monde s'arrête. "Go!", tout le monde repart. Et "pause!", personne ne doit en tenir compte ! L'attention porte sur l'occupation de l'espace, et le regard périphérique. Ceux qui hésitent sur "pause" reçoivent la contrainte de chanter le canon appris précédemment "This old hammer". On obtient alors déjà deux chœurs, l'un se déplace, l'autre chante.

Le chœur porteur d'un secret
Les stagiaires sont divisés en quatre groupes. Chaque groupe vient prendre place sur une ligne face public. Sans consigne de départ, en étant simplement à l'écoute des autres, le groupe s'avance, pas forcément ensemble vers la limite du plateau et s'arrête sans signal, en même temps, chacun là où il est. On se laisse porter par le groupe, sans intention autre. On est détendus, unis par la respiration. L'arrêt peut-être brut pour certains, en suspension pour d'autres. On est juste ensemble, sans volonté de briller. Puis l'exercice est refait avec un secret communiqué au départ à chaque groupe par la formatrice et que les spectateurs devront trouver : "Public, je vous aime", "Maman, je t'aime", "Je suis venu te dire que je m'en vais", "On a bien travaillé, on vient vous exécuter le chant appris". Ce secret, il faudra le faire naître organiquement, sans volonté de construire. On doit être plein de l'intention et garder une grande disponibilité, le regard est élargi vers le haut, devant, derrière… Quelques remarques : impression de non détente, respiration parfois bloquée, bouche crispée ! L'impulsion n'est pas nette ou elle provient du pied et non du centre de gravité du corps. Le public est attentif au moindre geste ou attitude, aux départs, rapides ou à la suite d'une longue attente, au rythme de déplacement. Le but est de jouer avec le temps et l'espace.


Lecture "Parce que la vie est courte…"
(Ce texte de Catherine Verlaguet fait l'objet d'un travail de mise en espace par les classes de certains stagiaires participant au jumelage avec le théâtre de l'Ephémère.)
 On procède à une première lecture découverte du texte, d'abord considéré comme juste une partition. La respiration doit unir les lecteurs qui se passent le relais à chaque phrase, ils recueillent l'écriture et la transmettent "avec gourmandise", ils reprécisent la pensée de l'autre et l'agrandissent. La pensée doit circuler fluidement. Ce type de lecture, avant tout musical, évite la surinterprétation, elle rentre dans "la respiration de l'auteur", dans sa graphie, le choix de la disposition du texte, les blancs, les passages à la ligne… On échappe ainsi aux dictions réalistes des cours de récré ! On peut même repérer et  surligner les répétitions.

Le débredinoir
Mais qu'est-ce donc ? (Selon Wikipédia ! nom donné à un sarcophage situé à St Menoux dans l'Allier, où l'on aurait déposé la dépouille du saint homme. Il est muni d'une ouverture par laquelle les fous et les simples d'esprit peuvent passer la tête pour recouvrer leur santé mentale ! ) Mais nous n'oserons penser que Christelle nous ait pris pour des simples d'esprit !!  Selon elle il s'agirait d'un espace à l'écart, une sorte de puits où chacun pouvait jadis dévider ses problèmes. Et en ce qui concerne notre consigne de travail ? Il s'agit d'un moment de recherche collective à partir du texte où l'on formule toutes les questions posées par sa mise en scène. Comment arrivent les personnages ? Après une annonce ? par accident ? comment les faire surgir du chœur…? Une traduction simple : "Une effervescence de création collective".  

Lecture de Didier-Georges Gabily
Autre lecture découverte d'un texte, moins évident, proposé par Christelle, extrait de "Gibiers du temps", intitulé "Chœur d'entre (parodos)". (Pour mémoire et pour ceux qui n'auraient pas suivi le stage, début du texte)

1. Dit Thésée (dis-je) : maintenant j'irai vers cette ville et je retrouverai ma maison, je la reverrai, dit Thésée (dis-je), car Dieu ne m'a pas trompé ; voilà ce que je pense, dit Thésée (dis-je) :  de ceux-là, j'ai assez appris ; voici : je les ai considérés longtemps, les enfants de la Lutte, les fils de Violence, et tels ils demeureront tandis que moi, j'irai vers ma maison où Phèdre m'attend, oui, je crois qu'elle m'attend, cette femme, ma femme, et ce sera la paix après la guerre, le repos après tous mes combats
2. Marche Thésée, claudique, courbe comme nous tous – rampant sous le soleil de midi qui peine sous l'épaisseur des gris – ta nuque, marche (dis-je) (.…)

La consigne est de lire "comme un archéologue" qui effectue une découverte et la transmet par le regard à l'ensemble du groupe. Les 25 participants lisent donc en se passant la parole à chaque signe de ponctuation. Christelle nous fait part ensuite de ses remarques. Les passages de relais manquent, on "enterre" le texte, on fait dans la redondance avec la noirceur, les corps peu à peu s'affaissent. La lecture est un dialogue entre le texte et soi, elle exprime comment le texte respire de l'intérieur, elle doit être faite avec appétence, énergie et musculature car le texte doit être proféré comme un chant. "L'acteur est un athlète perfectible" (Vitez) (le maitre tutélaire des lieux !). Dans ce texte plus encore que dans le précédent, la ponctuation inhabituelle doit être respectée : pas de ponctuation à la fin de chaque partie numérotée, majorité de points virgules, deux points, des slash ou barres obliques… On comprend que ce texte ne se donne pas d'emblée, qu'il nous faudrait du temps. On s'interroge sur l'intérêt qu'il y aurait pour des élèves à commencer par un texte hermétique, auquel on accéderait seulement par des bribes de compréhension qui donneraient envie de découvrir le sens. Mais le texte de théâtre est une langue étrangère, pas une langue quotidienne. Il faut trouver cette autre langue et son autre rythme. Le texte doit être dit avec étonnement, comme si on le découvrait pour la première fois, dans toute son étrangeté.
(Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur ce texte étrange et son auteur, on peut voir une petite vidéo sur le net : "Bruno Tackels présente Gibiers du temps")

Les chœurs soignants
Cet exercice a servi d'échauffement à la reprise de l'après-midi. Cinq membres du groupe travaillent sur le sixième, à tour de rôle. L'un à la tête, deux aux bras et deux aux jambes, ils effectuent d'abord un massage énergique puis le manipulent comme une marionnette au sol s'efforçant de faire lâcher prise au manipulé, avec bienveillance. Comment effectuer cet exercice avec des élèves ? On a fait part de quelques expériences. D'abord il serait dans ce cas préférable que le groupe se constitue par affinité. Ensuite pour le massage, on peut utiliser une balle en mousse voire même des petites voitures miniatures qu'on fait rouler sur le corps, pour qu'il y ait un intermédiaire entre main et peau de celui qui est massé !
Puis nous avons repris en canon "This old hammer". On constate que dans chaque chœur, le coryphée s'affirme au hasard de la plus grande assurance de l'un des chanteurs, les autres suivent celui qui est le plus sûr de lui. Mais chacun garde sa singularité et découvre son plaisir de chanter.

Les losanges ou la singularité créatrice au service du groupe
Chaque groupe se répartit en losange dont les pointes sont nettement marquées par quatre participants, les autres se répartissant entre ces quatre personnes. La formatrice donne une phrase à chacun des deux groupes comme induction des gestes que chacun devra inventer. "Je suis plus impressionnant que toi" et "Je suis tellement plus sexy que toi". Chaque pointe du losange choisit un geste en accord avec la phrase confiée à son groupe. Il effectue une première fois le geste puis une seconde fois avec  ses camarades qui se trouvent derrière lui (Il faut donc un geste qui soit identifiable par le groupe qu'il ne voit pas). Le premier fait donc son geste et le reprend avec le reste du groupe. Celui-ci se tourne d'un quart de tour et celui qui se trouve alors à la pointe effectue le premier geste et le sien. Ensuite tout le groupe reprend successivement les deux gestes. Quart de tour… id avec trois gestes. Quart de tour… id avec quatre gestes. (Voir photos)
Les deux "losanges" peuvent ensuite se faire face, chaque groupe effectue son geste à tour de rôle, comme les joueurs de rugby avec le hakka. On peut même aller jusqu' à la "battle", un groupe avançant, l'autre reculant.
Les gestes ne sont pas forcément identiques, chacun garde sa singularité et la mémoire de son corps. On voit dans l'exécution de l'exercice collectif des singularités. Les gestes peuvent être petits, hachés, fluides…

Débredinoir deuxième (Parce que la vie est courte…)
On retrouve les groupes de travail précédents autour du texte de Catherine Verlaguet. On reprend les questionnements et on émet des propositions de jeu et de mise en espace du groupe. (On essaie aussi de garder la mémoire des propositions non retenues). Ce temps d'échanges, d'essais, permet de rebondir, de faire des mixtes et le résultat en est plus riche. Les trois groupes présentent leur travail. (Voir photos). On suggère, avec des élèves, de donner à chaque groupe des inducteurs différents (des lieux, des objets : parapluie, téléphone portable, cadre, tissus…). On prend conscience alors de ce qui résiste au plateau.
Nous avons vu de beaux réinvestissements des exercices de la journée, usage d'une partie chantée, sortie du chœur de Perrine sous forme de marionnette manipulée par les autres choreutes. (v. photos)

Les fondamentaux de la lecture de l'espace
Cet exercice conduit les joueurs à se répartir dans l'espace du plateau, sans chercher préalablement à construire du sens. Un groupe de cinq membres, numérotés de un à cinq, s'aligne au fond du plateau derrière quatre chaises, ils regardent l'espace devant eux. Le numéro tourne la tête vers les quatre autres, qui le regardent à leur tour. Puis un regarde l'espace à la recherche d'un endroit et prend sa chaise, va la déposer à cet endroit, s'assoit puis regarde le groupe laissé derrière lui. Le numéro deux à son tour tourne la tête vers le reste du groupe qui le regarde à son tour, puis il refait le même mouvement que le numéro précédent. Tous les numéros se succèdent ainsi. On peut proposer une variante : cinq personnes et quatre chaises. Que va faire la dernière personne ? (Voir photos).
Le temps ainsi se dilate ou se contracte. Chacun regarde et se déplace le plus simplement possible, sans chercher à produire quelque chose. Au contraire, on gomme le surplus, on se présente sous le regard des autres dans une action découpée en segments. On offre l'humanité sans surcroit d'interprétation. A la fin du passage du dernier groupe, Christelle a fait alors lire au dernier joueur le texte de Gabily (cité ci-dessus), le texte prend sens dans ce tableau présenté, sans qu'on ait cherché volontairement à le construire. On se laisse surprendre.

Retours en fin de stage
On a envie d'utiliser tout de suite ce qu'on a appris, un groupe en particulier a repris le chant, la marionnette… "On vole ce que nous offrent les artistes" ! Ces codes étaient en effet très lisibles. On peut bien sûr reprendre, répéter des répliques, couper le texte mais sans transformer la phrase. On doit multiplier les essais, ne rien s'interdire a priori, et voir si la proposition reste lisible. Nos propositions ont été plus ou moins lisibles justement. Quelquefois, le spectateur n'a pas vécu la magie du surgissement d'un personnage. On doit encore chercher à se surprendre dans nos échanges de regards à l'intérieur du chœur. On a assisté à des propositions très différentes des relations entre les deux personnages de Perrine et Maxime : Perrine fonceuse ou espiègle, malicieuse ou blasée et un Maxime timide ou assuré… bel éventaire de pistes de travail ! On constate que ce sont des dispositifs simples à proposer, en particulier avec des élèves qui affirment tout de suite "Je n'ai pas d'idée!". Ils ont souvent l'impression de ne rien faire alors que ce moment est riche d'humanité. C'est là que l'exercice prend tout son sens, mais il faut que l'enseignant soit à l'écoute et accepte de faire confiance dans leurs propositions.
            En résumé, je reprendrais deux séries de mots clés à partir des propos de Christelle : d'une part : Appétence, appétit, gourmandise, étonnement, étrangeté… d'autre part : organique, se laisser aller, se laisser porter, sans sur-interprétation, sur-production, sur-signification…
            Ce second stage sur le chœur a été comme une sorte de contrepoint à celui de l'an dernier, plutôt dans l'énergie, l'action, la production. Cette fois c'était l'écoute de soi, le surgissement inattendu du sens. Entre la contrainte de la consigne et la liberté de son exécution prendre le temps de la gestation dans la surprise.
Marcel

Un dernier conseil de Christelle : regarder Bob Fosse Sweet charity ; Big spender ; Big in the bar .